Suisse: Etats-Unis d'Amérique:
Conseil fédéral Département fédéral de la justice
Bureau du procureur général Ouzbékistan:
Tribunal pénal fédéral Ministère de la Justice
Gibraltar: Bureau du Procureur général
Gouvernement de SM
Ministère de la Justice de SM
France :
Ministère de la justice
Ministère de l'Europe et des affaires étrangères
EN OUZBEKISTAN, LES MILITANTS DE LA SOCIETE CIVILE EXIGENT QUE JUSTICE SOIT FAITE S'AGISSANT DE LA RESTITUTION DES BIENS MAL-ACQUIS DE GULNARA KARIMOVA
Points-clés:
- Rapatrier les actifs de Gulnara Karimova selon un processus garantissant qu'elle-même et ses complices soient rejugés en Ouzbékistan selon les normes d'une procédure régulière et d'un procès équitable.
- Les gouvernements de Suisse, de France et des autres pays où les avoirs de G. Karimova sont gelés devraient être guidés non seulement par les textes de loi anti-corruption mais aussi par le respect des droits de l'homme.
- Le retour de ces actifs aux autorités d'Ouzbékistan ne devrait s'effectuer qu'une fois mis en œuvre les réformes de la lutte anti-corruption et une fois rétabli l'état de droit.
- Le Département fédéral de la justice des États-Unis devrait bloquer toute tentative de rendre à Gulnara Karimova et à ses complices une quelconque fraction de ses biens mal-acquis.
Depuis notre déclaration du mois d'août 2018 où nous exposions les principes qui doivent être respectés pour une restitution encadrée des actifs à la population ouzbek, de nombreux faits sont survenus qui ont attiré notre attention et doivent être exposés au public.
Les biens dont il est question ici sont ceux que Karimova a acquis grâce aux pots-de-vin qu’elle a extorqués à hauteur de plusieurs millions de dollars à des sociétés de téléphonie mobile, pour que celles-ci soient autorisées à commercialiser leurs services en Ouzbékistan: MTS; Telia (ex-Teliasonera) et Vimpelcom. Le fait qu'à cette occasion elle a perçu des pots-de-vin a été confirmé par ces sociétés elles-mêmes, dans des accords de poursuite différée devant diverses juridictions, y compris aux Etats-Unis et aux Pays-Bas. Ces trois sociétés ont accepté, par la suite, de payer des amendes pour un total de 2,6 milliards de dollars.Les avoirs bancaires de Karimova sont situés, pour l'essentiel, dans des banques européennes, à savoir: en Suisse, en Irlande, en Belgique, au Luxembourg et en Suède, tandis que ses autres actifs sont situés en France et au Royaume-Uni . En France trois biens immobiliers, d'une valeur de quelque 60 millions d'euros, ont été mis sous séquestre. Le total des actifs de Gulnara en Europe dépasse un milliard de dollars.
Le sort des actifs situés en Suisse (dont le montant atteignait au moins 800 millions de francs suisses en 2012) se décide en ce moment même. Sur le total, 130 millions de CHF appartiennent à des sociétés qui formellement sont détenues par Roustam Madoumarov l'un des complices de Karimova. A quoi s'ajoutent 555 millions de CHF, appartenant à des sociétés détenues, formellement, par Gayané Avakyan - une autre complice de Karimova. A cela s'ajouteraient - selon des informations d'origine interne - des bijoux d'une valeur considérable, déposé dans les coffres-forts d'une banque suisse.
Quels faits récents nous ont incités à adresser cette demande de réexamen à la justice?
D'abord et surtout, des négociations secrètes en cours en Ouzbékistan entre, d'un côté, Gulnara Karimova - représenté par sa fille et son avocat suisse - et, de l'autre, les autorités ouzbeks.
Selon nos informations, Karimova a été placée en résidence surveillée à son domicile en février 2014; puis transférée à Zangiata - la colonie pénitentiaire pour femmes n ° 21 (région de Tachkent) en 2017. Fin juin 2018, elle a de nouveau été située dans un appartement privé - celui de sa fille à Tachkent; après quoi elle a été conduite à nouveau à la colonie de Zangiata, au début de mars 2019. Si on comprend bien, en échange du consentement de Karimova à ce que ses avoirs suisses fassent retour à l'Ouzbékistan, ses représentants sa libération de prison et le droit de quitter l'Ouzbékistan, prétendument pour bénéficier d'un traitement médical approprié à son état. Les représentants de Gulnara comptent, par ailleurs, obtenir qu'une partie de ses avoirs étrangers actuellement sous séquestre, lui soient restitués, sans doute pour lui garantir un train de vie confortable après sa libération. Peut-être aussi, pour bénéficier d'eux-mêmes d'honoraires confortables, en rémunération de leurs services en défense des intérêts de leur cliente.
Dans le dernier communiqué , publié le 23 juin 2019 en son nom, Gulnara Karimova prétend avoir autorisé le rapatriement de 131 millions de CHF correspondant aux pots-de-vin qu'elle a soutirés jadis et qui sont actuellement gelés. Elle y déclare aussi qu’elle ferait de même pour le reste, soit 555 millions de CHF. Le communiqué laisse entendre qu'elle serait prête à accepter ces mesures en échange de sa libération de prison et du droit de quitter l'Ouzbékistan.
Nous ignorons à l'heure actuelle si les ouzbeks acceptent ces conditions mais nous prévoyons que Gulnara Karimova va se retrouver assignée à résidence chez elle, situation éminemment plus confortable que dans la colonie pénitentiaire de Zangiata.
Tout arrangement de ce type ne serait rien d'autre qu'un énorme pot-de-vin versé aux autorités ouzbeks et grâce à quoi Karimova permute les rôles: celle qui extorque devient celle qui offre le pot-de-vin. Qui plus est, une telle manière de faire ne serait conforme ni aux normes et principes de la justice internationale ni aux intérêts des victimes de la corruption à l'origine de toute affaire - à savoir la population de l'Ouzbékistan.
Les décisions de justice de 2014, 2015 et 2017 qui ont abouti à la condamnation de Karimova et de ses complices en Ouzbékistan - et, du même coup, aux demandes de restitution de ses actifs - ne répondent pas aux normes d'une justice équitable Les procès ont été menés à huis clos et sans que les tribunaux concernés publient ni dossiers ni communiqués, ce qui ôte tant à ces procès qu'à leurs conclusions toute crédibilité. Et fait ressortir, d'autre part, le niveau déplorablement bas des normes présidant à l'administration de la justice en Ouzbékistan.
Nous préoccupons le fait que le gouvernement helvétique - en estimant que Karimova a, en apparence, consenti au transfert de ses actifs en Ouzbékistan - pourrait, sans le savoir ou en connaissance de cause, devenir complice du marchandage décrit plus haut, par lequel Karimova achète sa libération et un traitement de faveur grâce au pot-de-vin quel verse aux autorités ouzbeks et qu’elle finance sur ce qu’elle-même un volé à la population d’Ouzbékistan. C'est pourquoi nous souhaitons que le Bureau du procureur fédéral et le Conseil fédéral songent au précédent ainsi créé et aux effets d'une telle parodie de justice sur leur réputation. Nous sommes fort surpris que l'accord d'une personne qui a volé des biens soit exigé pour mettre en place le mécanisme par lequel ceux-ci seront confisqués et remis au pays d ' où ils proviennent. Dans le cas présent, l'acte de corruption a été prouvé tant par l'aveu des sociétés de téléphonie que par les pièces du procès contre les cadres dirigeants de Telia, en Suède. Vu que la preuve a été faite que le "propriétaire" de ces actifs avait commis des actes tombants sous le coup de la loi, pourquoi les autorités judiciaires suisses ont-elles besoin du consentement du coupable pour confisquer ces actifs?
Nous sommes fort préoccupés par le fait que, le 1er juillet 2019, le Tribunal pénal fédéral a accordé à Gulnara Karimova la possibilité de reprendre possession de 350 millions de CHF sous forme d'actifs détenus par l'intermédiaire de Takilant Ltd. - une société sise à Gibraltar et dont l'enregistrement a expiré.
Outre les actifs gelés en Suisse, nous nous préoccupons aussi du sort de ceux qui ont été confisqués cette année, à Gulnara Karimova, en France. Selon des informations parues dans la presse, les gouvernements français ont décidé - à la différence de la Suisse - de remettre directement ces actifs aux autorités d'Ouzbékistan (environ 60 millions d'euros). Au printemps 2019, le Sénat français avait adopté une proposition de loi sur la restitution encadrée d'actifs volés - un modèle que tous les pays devraient suivre et dont les militants de la société civile se félicitent. Une telle loi pourrait faire de l'affaire Karimova le premier cas où les autorités françaises restitueraient des actifs dans l'intérêt des victimes de la corruption et avec des sauvegardes contre toute malversation portant sur ces actifs.
Cependant, selon les informations dont on dispose (et à la différence de la Suisse) il semble que les autorités françaises ont l'intention de rendredes actifs issus de la corruption directement aux ouzbeks, c'est à dire à un régime autoritaire, répressif et toujours très corrompu, sans que des conditions préalables soient continuées ou que soit mis en place un encadrement adéquat. A nos yeux, c'est comme si on rendait des bijoux au voleur qui les a volés. Ce procédé serait en contradiction avec l'engagement de la France en faveur des droits de l'homme et avec sa lutte anti-corruption et contre le blanchiment d'argent. Cette restitution inconditionnelle d'actifs irait au sens contraire de ses engagements internationaux en faveur de la restitution dûment encadrée des biens mal acquis et serait fort dommageable à la réputation de la France.
Que propose-nous?
1. Nous pensons que pour être conduit à bien, le processus de restitution des actifs volés à la population d'Ouzbékistan doit comporter la tenue, dans ce pays, un procès équitable, conduit selon une procédure régulière et où tous ceux qui ont participé aux actes de corruption concernant les sociétés de téléphonie mobile devraient rendre des comptes. Dès lors que toutes les phrases prononcées contre Gulnara Karimova, contre ses complices et parents à ses actifs sont l'aboutissement de simples parodies de justice, nous exigeons qu'un nouveau procès soit conduit selon les normes de justice internationalement reconnues. C'est seulement sur la base d'un tel procès que les autorités suisses devraient décider de la restitution des actifs ouzbeks.notre déclaration d'août 2018.
2. Les représentants de Gulnara Karimova soutiennent qu'en prison elle est victime de mauvais traitements et aurait besoin d'un examen et d'un traitement médical approprié. Sans être en situation permettant de juger si ces allégations sont pertinentes, nous estimons que l'on ne devrait pas examiner ou modifier les conditions de détention de G. Karimova sans faire de même pour tous les détenus de cette colonie pénitentiaire ou de toutes les prisons du pays. Plutôt que de créer des conditions particulières pour une seule détenue, les autorités ouzbeks et l'administration en charge des prisons devraient considérer ces allégations comme un appel à porter, les normes condamnées en la matière au niveau des normes internationales en matière de droits humains et pour tous les détenus du pays.
Dans ce domaine, le premier pas consisterait pour les autorités du pays à assurer le libre accès aux prisons - y compris celle de Zangiata - aux représentants de la Croix-Rouge internationale et des rapporteurs spéciaux de l'ONU en matière de torture et d ' indépendance des juges et des avocats. Cet accès doit passer un tableau fiable des conditions de détention de Gulnara Karimova et de toute la population carcérale du pays.
Pour être précis, nous sommes catégoriquement opposés à la libération de Karimova avant un nouveau procès accessible à ces observateurs et respectueux des normes d'une justice équitable. L'Ouzbékistan a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l'article 14 pose que tout citoyen a droit à un procès équitable. La Suisse ne devrait pas en cautionner la violation.
3. Nous appelons aussi les autorités de Suisse, de France et des autres pays où des actifs ouzbeks sont gelés à se laisser guider par les normes du droit international - y compris les clauses de la Convention des Nations Unies contre la corruption - et par les normes en matière de droits de l'homme telles que (mais pas uniquement) le droit au développement et à un procès équitable. L'affectation des actifs volés par Karimova devrait être examinée et décidée à la lumière de tout le droit international en matière de corruption et des droits humains.
4. Nous demandons au Bureau du procureur fédéral et aux autorités judiciaires suisses de revoir le cas de Gulnara Karimova et d'évaluer honnêtement dans quelle mesure ils peuvent mener enfin à son terme et sans délais le tri des actifs confisqués après avoir été volés à la population d'Ouzbékistan.
5. Nous appelons les autorités françaises à suspendre le transfert aux autorités ouzbeks des actifs de Gulnara Karimova jusqu'à ce que ces agissent aux conditions énoncées plus haut, à savoir: la tenue d'un nouveau procès de Karimova et de ses complices, selon une procédure respectueuse des normes figurant à cet article 14; et la mise en œuvre du programme de réformes anti-corruption en Ouzbékistan. Les autorités françaises devraient aussi prendre au sérieux l'appel lancé par deux ONG françaises de premier plan - Sherpa et Transparency International France - pour que la restitution de ces actifs effectue dans la transparence totale et en pleine intégrité, et après que ces autorités se sont assurées de l'affectation des fonds transférés uniquement au service de l'intérêt général.
6. Nous demandons au département de la Justice des Etats-Unis qu'il bloque toute mesure menant au rapatriement d'une portion quelconque des actifs de Gulnara Karimova ou à leur restitution sans la mise en place de sauvegardes contre les fraudes susceptibles d'affecter cette restitution.
7. Nous appelons les autorités de Gibraltar à refuser les demandes des avocats de Gulnara Karimova pour que Takilant et Swisdorn y soient à nouveau enregistrés afin de récupérer les fonds gelés en Suisse. Toute partie prenante devrait avoir à l'esprit que ces sociétés ont été créées dans le seul mais de recevoir des pots-de-vin et de l'intérêt fait au profit de G. Karimova. Il a été prouvé que ces fonds étaient issus de la corruption et que ces sociétés les perçus au profit de Gulnara Karimova. ll a été prouvé que ces fonds provenaient des pots-de-vin versés par des sociétés de télécommunications en échange de l'appui secret et illicite de Gulnara pour leur faire obtenir les licences et les fréquences nécessaires à la commercialisation de leurs services en Ouzbékistan.
8. Nous appelons les pays détenant des actifs de Gulnara Karimova à assurer une pleine transparence dans la préparation du processus d’appel à la justice Retour des actifs de Karimova - restitution des fonds, et de sa mise en œuvre. Nous sommes préoccupés par le montant annoncé des restitutions. Gulnara Karimova, dans le communiqué cité plus haut, ne désigne que deux montants gelés en Suisse et susceptibles d'être restitués: 131 millions et 555 millions de francs suisses (soit 686 millions de CHF). Ce montant est nettement inférieur aux 800 millions de CHF annoncés par les autorités fédérales en 2012. Nous notons aussi que Karimova garde le silence sur le montant du contenu de ses coffres dans les banques suisses.
Dans un communiqué du 24 juin 2019, le Bureau du procureur fédéral a indiqué que 130 millions de CHF avaient été confisqués et que leur transfert en Ouzbékistan était en cours de préparation. Le même rapport indique que 650 millions de CHF concernant cinq suspects sont toujours en cours d'examen en vue de leur confiscation. Au total ceci représente donc 780 millions de CHF.
Ou, si l'on prend en compte les intérêts bancaires, le total des avoirs de Gulnara Karimova libellés en francs suisses devrait atteindre aujourd'hui 912 millions au moins (en tablant sur un taux de 2% par an et une période de 7 ans ). La différence atteint donc probablement quelque 130 millions de CHF qui n’ont pas été pris en compte ou n’ont pas été portés à la connaissance du public.
9. Nous sommes catégoriquement opposés à la restitution à G. Karimova et à tout autre demandeur d'actifs volés. Tout actif gelé devrait être transféré en Ouzbékistan après avoir été confisqué mais seulement à des conditions acceptables (ce qui signifie que ce transfert ne peut se faire dans l'immédiat).
10. Nous restons attachés aux principes devant présider au rapatriement des actifs ouzbeks, tels que nous les avons examinés en août 2018 . Le principe central étant qu'avant le prix de contrôle des actifs de Karimova, par les autorités ouzbeks, certaines réformes doivent être dans ce pays afin que des mécanismes et des pratiques anti-corruption y soient instaurés, à savoir:
• création d'une justice indépendante;
• réforme administrative en tant que partie spécifique de la réforme judiciaire et mise en place de procédures pour résoudre les conflits d'intérêts;
• exiger de tous les fonctionnaires, des juges et des membres du Parlement qu'ils publient chaque année le montant de leurs revenus et de leur patrimoine ainsi que ceux des membres de leur famille; et que ces déclarations soient accessibles au public;
• faire en sorte que soit assuré la transparence des finances publiques et que soient envisagées les conditions de la liberté d'association et de la presse.
Il est possible de mesurer les progrès accomplis dans la mise en œuvre de ces réformes en recourant aux critères internationaux que nous avons proposés dans notre déclaration d'août 2018.
Enfin et surtout, ces réformes cruciales devraient être mises en œuvre non pas au terme du processus de restitution mais avant qu'il ne débute, afin de garantir que ces biens ne seront pas à nouveau pillés mais mis au service de la population d'Ouzbékistan , principale victime de la corruption. Nous ne pouvons compter sur les promesses de réforme ni même sur l'adoption préalable d'une législation anti-corruption. En Ouzbékistan nombre de lois d'inspiration progressiste ont été mais ne sont pas appliqués. Ce sont des changements structurels des normes et des pratiques réalisées et non des progrès sur le papier qui doivent être la condition-clé de toute restitution.
Nous vous prions de recevoir, Mesdames, Messieurs, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
Jodgor OBID , membre du Pen-Club international, réfugié politique ouzbek, résidant en Autriche
Agzam TURGUNOV , ancien prisonnier d'opinion (2008-2017), Ouzbékistan
Muhammad BEKJANOV , journaliste, ancien prisonnier d'opinion (1999-2017), résidant aux Etats-Unis
Alisher TAKSANOV , journaliste, réfugié politique ouzbek, résidant en Suisse
Dilya ERKINZODA , réfugiée politique ouzbèke, résidant en Suède
Alisher ABIDOV , réfugié politique ouzbek, résidant en Norvège
Sergey NAUMOV , journaliste et militant des droits humains, Ouzbékistan
Daniel ANDERSON , réfugié politique ouzbek, résidant en Norvège
Mirrakhmat MUMINOV , réfugié politique ouzbek, résidant aux Etats-Unis.